Agro-communautés : un nouvel âge alimentaire en émergence ?

Par Myriam Bouré
 25 février 2021
Temps de lecture estimé : 5 min

Nous souhaitons vous partager ici une analyse à la fois rétrospective et prospective de l’évolution du système alimentaire, à travers un découpage en grands “âges”, grandes époques aux caractéristiques marquées.

Derrière nous : chasseurs-cueilleurs, agriculture vivrière et agro-industrie

Aux alentours du néolithique, la première révolution alimentaire marque le passage du modèle pré-agricole (les hommes du paléolithique étaient des chasseurs-cueilleurs) à l’agriculture, la sédentarisation et l’auto-production alimentaire, principalement pour une consommation personnelle. Cette sédentarisation et le développement de l’agriculture entraîne déjà de premiers effets sur l’environnement, comme la déforestation, ou l’apparition de maladies, d’épidémies, qui trouvent leur foyer dans les élevages domestiques et se propagent à l’homme du fait de la promiscuité des animaux.

Avec la révolution industrielle au XVIIIème siècle, une seconde révolution alimentaire nous conduit à l’âge agro-industriel, encore dominant aujourd’hui, où le système alimentaire est contrôlé par quelques multinationales cherchant à maximiser leur profit. Avec pour conséquences de nombreuses externalités négatives sur la santé et l’environnement : pollution des eaux, disparition de la biodiversité, destruction des sols arables, changement climatique, etc.

Devant nous : l’âge des agro-communauté se dessine de plus en plus clairement

L’avènement de l’agro-industrie a eu deux grands écueils, qui sont pour nous les causes profondes aujourd’hui des dysfonctionnements du système alimentaire :
– Séparation entre ceux qui produisent et ceux qui mangent
– Centralisation, concentration de la majorité des activités de production et de distribution dans très peu de mains

Face à cela, depuis plus de 10 ans, des citoyens, producteurs ou simples consommateurs, ont relevé leurs manches pour proposer des alternatives à ce système dominant, basées sur la production locale, artisanale, à taille humaine, et la distribution en circuits courts. Ils se sont regroupés, ont fait communauté, à des échelles très locales, en construisant par exemple des AMAP, ou même simplement en choisissant d’aller s’approvisionner en direct à la ferme ou sur le marché, auprès des producteurs locaux. Petit à petit, ces communautés de consommateurs réunis autour d’un ou plusieurs producteurs se sont démultipliées, et ont pris des formes de plus en plus variées. Certains variants sont sortis du lot, les populations s’en sont saisies et ils se sont multipliés de façon visible, “Ruches” (La Ruche Qui Dit Oui), “EPI” (modèle d’épiceries participatives), “supermarchés coopératifs”. D’autres variants sont restés plus discrets, n’ont pas (encore) été répliqués à large échelle, mais peuvent être exemplaires et parfaitement adaptés aux communautés qui les ont créés, comme le Collectif Court Circuit, Au Local ou AlterConso.

Nous voyons dans toutes ces initiatives les signes de l’avènement d’un nouvel âge alimentaire, qui succède à celui de l’agro-industrie : l’âge des agro-communautés. Cet âge se définit par une multitude de “holons” (= une entité qui est à la fois un tout et la partie d’un tout, vulgarisation intéressante ici), de petits groupes locaux mais en lien les uns avec les autres, rassemblant autour d’un ou plusieurs producteurs un groupe d’acheteurs, particuliers ou professionnels, qui ensemble, le plus souvent de manière auto-organisée, gèrent leur micro-système alimentaire de la fourche à la fourchette.

Les âges se superposent, ils ne se remplacent pas

L’avènement de ce nouvel âge ne fait pas pour autant disparaître les précédents. Même ces agro-communautés continuent d’acheter des bananes, du chocolat, un certain nombre de produits industriels, ou qui viennent de loin. Ils sont cependant vigilants à la traçabilité des produits, aux conditions de travail et de rémunération des travailleurs, à l’éthique et à la localisation de la production. Ces mêmes individus peuvent aussi cultiver un potager dans leur jardin, et aller cueillir des champignons et des plantes sauvages. Ces âges coexistent.

L’apparition d’un nouvel âge vient complémenter et résoudre les problèmes posés par l’âge précédent :
– La sédentarisation et l’augmentation de la population a fait apparaître l’agriculture vivrière, car la chasse et la cueillette par des populations non mobiles et croissantes épuisaient les ressources.
– Avec la révolution industrielle, l’exode rural, et les guerres du 20ème siècle, les populations n’étaient plus en capacité de cultiver leur jardin, ni de pratiquer la chasse et la cueillette, et l’agro-industrie est venue apporter des solutions pour résoudre à court terme le problème d’alimentation de ces populations déracinées.
– Aujourd’hui, les agro-communautés viennent résoudre les problèmes de pollution, changement climatique, perte de biodiversité posés par l’agro-industrie.

On peut penser que l’agro-industrie va trouver peu à peu une place plus juste, perdre de sa puissance, au fur et à mesure que l’âge des agro-communautés se développe. A nous de décider à quel système nous donnons de l’énergie par nos choix de consommation et entrepreneuriaux au quotidien !

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Aller plus loin :
– L’article original publié en 2016 dans le magazine OuiShare
– Une vidéo présentant cette réflexion optimiste de l’évolution du système alimentaire en une dizaine de minutes

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